Une sorcière comme les autres

Anne Sylvestre.

S’il vous plaît Soyez comme le duvet
Soyez comme la plume d’oie Des oreillers d’autrefois
J’aimerais Ne pas être portefaix
S’il vous plaît Faites-vous léger Moi je ne peux plus bouger

Je vous ai porté vivant Je vous ai porté enfant
Dieu comme vous étiez lourd Pesant votre poids d’amour
Je vous ai porté encore A l’heure de votre mort
Je vous ai porté des fleurs Vous ai morcelé mon cœur

Quand vous jouiez à la guerre Moi je gardais la maison
J’ai usé de mes prières Les barreaux de vos prisons
Quand vous mouriez sous les bombes Je vous cherchais en hurlant
Me voilà comme une tombe Et tout le malheur dedans

Ce n’est que moi C’est elle ou moi
Celle qui parle Ou qui se tait
Celle qui pleure Ou qui est gaie
C’est Jeanne d’Arc Ou bien Margot
Fille de vague Ou de ruisseau

C’est mon cœur Ou bien le leur
Et c’est la sœur Ou l’inconnue
Celle qui n’est Jamais venue
Celle qui est Venue trop tard
Fille de rêve Ou de hasard

Et c’est ma mère Ou la vôtre
Une sorcière Comme les autres

Il vous faut Être comme le ruisseau
Comme l’eau claire de l’étang Qui reflète et qui attend
S’il vous plaît Regardez-moi je suis vraie Je vous prie
Ne m’inventez pas Vous l’avez tant fait déjà

Vous m’avez aimée servante M’avez voulue ignorante
Forte vous me combattiez Faible vous me méprisiez
Vous m’avez aimée putain Et couverte de satin
Vous m’avez faite statue Et toujours je me suis tue

Quand j’étais vieille et trop laide Vous me jetiez au rebut
Vous me refusiez votre aide Quand je ne vous servais plus
Quand j’étais belle et soumise Vous m’adoriez à genoux
Me voilà comme une église Toute la honte dessous

Ce n’est que moi C’est elle ou moi
Celle qui aime Ou n’aime pas
Celle qui règne Ou qui se bat
C’est Joséphine Ou la Dupont
Fille de nacre Ou de coton

C’est mon cœur Ou bien le leur
Celle qui attend Sur le port
Celle des monuments Aux morts
Celle qui danse Et qui en meurt
Fille bitume Ou fille fleur

Et c’est ma mère Ou la vôtre
Une sorcière Comme les autres

S’il vous plaît Soyez comme je vous ai
Vous ai rêvé depuis longtemps Libre et fort comme le vent
Libre aussi Regardez je suis ainsi
Apprenez-moi n’ayez pas peur Pour moi je vous sais par cœur

J’étais celle qui attend Mais je peux marcher devant
J’étais la bûche et le feu L’incendie aussi je peux
J’étais la déesse mère Mais je n’étais que poussière
J’étais le sol sous vos pas Et je ne le savais pas

Mais un jour la terre s’ouvre Et le volcan n’en peux plus
Le sol se rompt On découvre des richesses inconnues
La mer à son tour divague De violence inemployée
Me voilà comme une vague Vous ne serez pas noyé

Ce n’est que moi C’est elle ou moi
Et c’est l’ancêtre Ou c’est l’enfant
Celle qui cède Ou se défend
C’est Gabrielle Ou bien Aïcha
Fille d’amour Ou de combat

C’est mon cœur Ou bien le leur
Celle qui est Dans son printemps
Celle que personne N’attend
Et c’est la moche Ou c’est la belle
Fille de brume Ou de plein ciel

Et c’est ma mère Ou la vôtre
Une sorcière Comme les autres

S’il vous plaît S’il vous plaît
Faites-vous léger Moi je ne peux plus bouger

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